Et si Baudelaire avait été confronté aux images créées par Midjourney ?


Charles Baudelaire aimait la photographie. Il fut l’un des plus assidus dans les studios des portraitistes Nadar et Carjat. Et il s’en méfiait. Cette fascination trouble envers cet art naissant, « refuge des peintres manqués », lui fit écrire un passage devenu célèbre, dans sa critique du Salon de 1859. Baudelaire y prend à partie ceux qu’il désigne comme « adorateurs » de la photographie, art « industriel » par excellence, selon le poète, leur prêtant un « credo » naïf et béat : « L’industrie qui nous donnerait un résultat identique à la nature serait l’art absolu », ironise-t-il. Or, c’est bien une nouvelle industrie qui a fait surgir sur les écrans du monde une nouvelle sorte d’images, dites « artificielles », créées par des « intelligences », tout aussi « artificielles », comme Dall-E 2, Stable Diffusion ou la plus célèbre d’entre elles, Midjourney.

Ces images ont d’« artificiel » le fait qu’elles ressemblent à des photographies, sans en être. Elles représentent des objets ou des scènes qui n’existent pas dans le monde réel, là où une photographie « naturelle » résulte de la capture d’un échantillon du monde, par le truchement d’un appareil.

« A partir de ce moment, poursuit le poète des Paradis artificiels (eux aussi), une folie, un fanatisme (…) s’empara de tous ces nouveaux adorateurs du soleil. » Face à cet engouement, « un Dieu vengeur » exauça « les vœux de cette multitude » : « [Louis] Daguerre [l’un des inventeurs de la photo] fut son messie. » Près de deux siècles plus tard, Midjourney devint son nouveau prophète, exauçant les « vœux » des internautes, en produisant des images à partir de simples requêtes.

« D’étranges abominations » surgirent, poursuit Baudelaire. Ainsi apparurent sur les écrans du monde les images détournées de figures du pouvoir : le pape François en doudoune, l’agonie de Julian Assange, Emmanuel Macron penseur devant un tas d’ordures, ou Donald Trump en état d’arrestation… Nombreux furent les internautes qui, pris au piège de l’illusion, ont cru en leur authenticité.

« Malheur à nous »

Dans sa diatribe, Baudelaire déplorait une révolution majeure de son temps, par laquelle le « Beau », l’objet d’étude originelle de l’art « et des peintres », laissant la place au « Vrai », que semblait permettre la photographie. On sait pourtant que celle-ci sait mentir. Par sa nature, d’abord, comme un échantillon limité de l’espace et du temps, prélevé par le regard subjectif d’un photographe. Heureusement, dans le meilleur des cas, la photographie peut « témoigner », ce qui lui permet d’être quotidiennement utilisée par les journalistes.

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